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Africa

© Kurt Van der Elst

© Kurt Van der Elst

Mise en scène Peter Verhelst – Jeu Oscar Van Rompay – Dans le cadre des Traversées africaines présentées au Tarmac.

L’acteur est assis au fond de la scène et regarde les spectateurs entrer. Quand la lumière baisse il retire ses vêtements, tous ses vêtements, il les plie minutieusement, prend son temps. Il est blanc, de peau très claire.

Comme un cérémonial mais avec des gestes simples, il saisit un pistolet à peinture et s’enduit d’une couche profondément noire, visage inclus. Il luit de cet outrenoir à la Soulages. A partir de cette convention qui a valeur de manifeste : Je suis noir, il ne joue pas, il se fond dans le noir, il est noir, amoureux d’un pays, le Kenya où il passe la moitié de sa vie. L’homme devient un dieu, une œuvre d’art brut, une installation. Il s’enracine dans le sol et danse, épouse les codes culturels du pays. Le noir se mélange au sable, se mélange au sang, et la fine pluie qui tombe fait un rideau de brume. Le corps est fin, souple, beau. Nous sommes en pleine brousse, l’homme est libre, il danse. Les gestes sont sobres, chorégraphiés, maitrisés. Une voix off envoie quelques signaux en anglais et en swahili, comme une métaphore.

A la fin du parcours, aussi naturellement qu’il s’est enveloppé de noir, l’homme se douche devant nous puis remet ses vêtements. Commence une seconde partie, radicalement différente, qui donne les clés de lecture de ce que le spectateur vient de vivre avec lui. C’est un autre homme qui s’avance et fait le récit de sa vie, dans un mouvement de générosité : parti au Kenya comme volontaire, il fut instituteur à Migori et a enseigné aux jeunes élèves en uniforme. Tombé amoureux du pays, il a cherché le sens des choses et pénétré au plus profond d’une société radicalement éloignée de la sienne, d’un rapport au temps différent, d’une philosophie autre. Cet homme s’appelle Oscar Van Rompay, acteur, d’origine belge néerlandophone. C’est sa vie qu’il raconte, entre la Belgique où il travaille au sein de la troupe NTGent et le Kenya où il est entrepreneur et possède une ferme.

Le déclencheur de cette aventure devenue aujourd’hui spectacle, repose sur sa rencontre avec Peter Verhelst. Tous deux ont cette même fascination pour l’Afrique, le premier la côtoie et y travaille, le second la rêve, mais l’idée lui est venue de proposer à Oscar Van Rompay de faire théâtre de sa vie. Ce grand écart entre les deux géographies et les deux vies de l’acteur, véritable mise en danger sur le plateau, s’est construit comme une dramaturgie à partir d’une riche complicité.

Le travail du son et de la lumière a cette même précision que l’ensemble de la proposition. Le Kenya s’entend aussi à travers de petites touches sonores, la parole des enfants qui circule, s’éloigne et s’approche, les roues de la charrette, sur la piste. La lumière est travaillée par des latéraux et des néons, par une tombée de rayons de couleurs qui croise quelques éclairs de lumière crue et imprègne l’environnement, entre brousse et mangrove. L’objet théâtral est sensible.

Quelques notes de piano au final, pendant qu’une machine artisanale, sorte de levier, fait émerger de l’eau une carcasse, faisant penser au Minotaure et que l’homme git dans le marigot. Gestes rituels, dualité entre l’homme de Belgique et celui du Kenya ? « Ici je pense à là-bas, là-bas je pense à ici…» Quel est la place du réel, qu’est-ce que l’illusion entre cet ici et cet ailleurs ? Partant d’une biographie, l’exercice est périlleux. Avec pudeur et retenue, il est très réussi.

Brigitte Rémer, 10 avril 2016

Texte et mise en scène Peter Verhelst – jeu Oscar Van Rompay – musique Kreng – traduction française Monique Nagielkopf – traduction du texte vers le swahili Marta Krajnik.

Du 30 mars au 2 avril 2016 au Tarmac, la Scène internationale francophone – 159 avenue Gambetta. 75020. Tél. : 01 43 64 80 80 – site www.letarmac.fr